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Chroniques d'un vieux bougon
14 juin 2022

C'était le 14 juin 2012.

2012_loups

C'était le 14 juin 2012.

 Il avait plu à la Saint Médard et tout autant à la Saint Barnabé. Depuis ces jours funestes, il n’était pas de journal télévisé qui ne nous rappelât que les températures étaient inférieures aux normales saisonnières, comme si, serrés dans notre gilet de laine, nous pouvions ignorer le vent, la froidure et la pluie ! Des esprits taquins sinon même frondeurs demandèrent d’ailleurs au tout nouveau gouvernement d’intervenir pour rétablir, là aussi, la normalitude.  Hélas, le danger était grand de voir encore sur nos écrans de paisibles retraités errer, livides et transis, au long des plages désertes, des bistrotiers ventrus se lamenter devant leurs guinguettes délaissées et des garçons de plages en sandalettes gémir sous leurs parasols dégoulinants.

 Ce matin du 14 juin, le ciel était toujours aussi morose mais l’air était doux. La rosée abandonnée par la dernière averse dessinait un tapis argenté sur la pelouse du courtil et des gouttelettes multicolores luisaient au long des fils d’araignées. Les chèvres naines en leur enclos accoururent en trois cabrioles dès qu’elles m’aperçurent, se précipitèrent sur leur friandise de pain dur et se réfugièrent dans leur cajolle par crainte d’une nouvelle ondée. Le faisan aperçu la veille se présenta à son tour et me laissa l’approcher à quelques pas. Je lui jetai une poignée de grain mais mon geste trop brusque le fit fuir. Lorsque j’entrai dans leur volière, les pigeons s’éparpillèrent dans un grand bruissement d’ailes mais se précipitèrent lorsqu’ils me virent verser leur pitance dans la mangeoire. Le chef repoussa un jeune impertinent et commença son festin. Sa dame le rejoignit bientôt suivie des autres adultes et enfin des deux pigeonneaux nés au début du printemps.

 En sortant, je lançai du geste auguste du semeur cher à Vincent Van Gogh la dernière poignée de blé dans l’herbe. Les moineaux se presseront avant de s’enfuir dans les buissons avoisinants lorsque les merles se poseront en grand ramage pour prendre part aux agapes. Dans le châtaignier qui étend ses ramures au-dessus, les tourterelles échangeaient des commentaires contradictoires. Deux écureuils roux se poursuivaient dans les bouleaux, silhouettes furtives qui disparaissaient aussi vite qu’elles étaient apparues. Une mère lapine et trois ou quatre lapereaux se tapirent un court instant derrière une potée de fuchsias en fleur et s’éclipsèrent comme un courant d’air dans l’ombre des sapins. Tout un monde, un univers, qui vivait, s’ébrouait et batifolait. Un monde qui s’était en définitive familiarisé avec ma présence. Mais lequel avait réellement apprivoisé l’autre ?

 On rapporte qu’entre deux concerts, Hélène Grimaud s’isole souvent au milieu de ses loups. On s’émeut de cette idée saugrenue. Demeurer au milieu des hommes ne lui suffirait-il pas pour éprouver de grisants frissons ? Elle prend cependant moins de risques avec les quadrupèdes. Le loup est en effet réputé pour son mauvais goût. On raconte qu’il aurait jadis mangé une bergère famélique égarée à l’orée d’une forêt profonde et que sa faim n’étant pas rassasiée, il s’en serait pris à un sous-préfet et peut-être même à un fonctionnaire de l’Instruction Publique. Notre pianiste est bien trop belle pour aiguiser l’appétit de ces sombres canidés. En ce qui concerne les hommes, il était déjà bien difficile d’ignorer leurs ébats sanguinaires tant nos écrans de télévision se complaisaient à nous les exposer.

 Pour l’heure et en attendant que Saint Gervais redonnât un sens commun aux péripéties météorologiques, j’allai musarder avec Haruki Murakami dans le troisième tome de son 1Q84 et me laisser bercer par Anne-Marie Dubois et la "Prédications aux oiseaux" et si la grisaille persistait, je poursuivrais avec les "Années de Pèlerinage" par Bertrand Chamayou, Franz Liszt n’a pas son pareil pour accompagner la mélancolie des jours.

 PS : Dix années plus tard, le réchauffement climatique a inversé températures et pluviométrie et les loups ont proliféré à travers notre bel hexagone ; en revanche rien n’apparaît changé dans le comportement des humains. Ce qui devrait nous laisser bien des choses à penser !

 

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Commentaires
L
L'humain, ce nuisible !
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