Pénurie de bon sens.

À la radio, les accents mystiques du final de la Symphonie en ré mineur de César Franck laissent place au silence aussitôt interrompu par Denisa Kerschova qui annonce la pause de midi de son Allegretto. Passé l’indicatif de la station, le présentateur égrène les "actualités" du jour :  sempiternelles déclarations toujours plus belliqueuses du maître du Kremlin, traditionnelles revendications toujours plus radicales des syndicats les plus radicaux et  énième rappel gouvernemental en matière de sobriété énergétique. Or, derrière l’ombre de Sisyphe qui plane sur ces informations se profile comme souvent celle d’Hercule tant est innombrable la liste des défis qu’elles portent. Plusieurs Hauts Dirigeants Régionaux lancent d’ailleurs de nouvelles initiatives pour, disent-ils, sauver la planète.

Ainsi, la bouche en cœur et le ton martial, celui-ci promet des "investissements" pharaoniques dans les lycées dont il a la charge depuis son élection en 2016. On y changera les milliers d’ampoules datant du siècle dernier pour d’autres dites de basse consommation.  On centralisera l’éclairage des salles de classes et des couloirs pour que l’extinction des feux soit effective partout après le départ des élèves et des enseignants. On échangera les fenêtres qui ferment si mal contre des neuves avec double vitrage et on étalera une épaisse couche d’isolant thermique dans les combles. La froidure ne passera plus et la planète sera sauvée ! Il aura donc fallu que la facture d’électricité atteigne des sommets himalayens pour que les prêches de l’inénarrable Greta Thunberg soient enfin entendus. 

Telle autre, et à hauteur d’au moins 1 milliard d’euros, décide soudain de replanter des arbres dans les agglomérations de son territoire pour que ses administrés bénéficient désormais de leur ombre bienfaisante. On ressèmera en plus du gazon dans les cours de récréation que l’on avait bétonnées afin de rapprocher la nature de nos joyeux chérubins. Chaque place se verra même dotée d’une fontaine pour abreuver l’air ambiant et les petits oiseaux et lorsque cela sera possible d’un miroir d’eau avec brumisateurs ; les enfants ne seront plus obligés de saboter les bornes réservées aux pompiers pour se rafraîchir. Nos concitoyens auront moins chaud l’été et la planète sera sauvée. C’est bien mais pourquoi donc avoir attendu une canicule de plus pour enfin suivre les sages conseils de nos Grands-mères ?

Le gaz à effet de serre est réputé particulièrement efficace pour réchauffer l’atmosphère et attiser ainsi les perturbations climatiques qui causent, çà et là, tant d’ennuis. L’objectif est donc aujourd’hui d’en rejeter le moins possible. Les écologistes de centre-ville invitent donc tout un chacun, qu’il vive à la campagne, en banlieue ou dans le quartier du Marais, à se déplacer à bicyclette. Et la planète sera sauvée. Certes, les heures de pointes, comme disent les habitués du Bison Fûté cycliste, subissent déjà d’affreux embouteillages mais attentif au bien-être de ses électeurs et soucieux de suivre la mode, ce maire prescrit malgré tout la mise à disposition sur le budget municipal de modernes vélocipèdes écologiques. Il faudra bien de la hardiesse pour se faufiler entre les voitures à la recherche désespérée d’une place de stationnement car il a simplement oublié de tracer au préalable des voies cyclables dignes de ce nom. Les paysans d’autrefois appelaient cela mettre la charrue avant les bœufs mais gageons que son successeur inscrira en tête de son programme électoral la mise en place de couloirs dédiés aux deux roues en tous genres et la planète sera sauvée.

Hélas et en dépit de ces sursauts prometteurs, de grandes voix craignent toutefois que tous ces appels à la tempérance ne suffisent pas. Ne souffre-t-on pas déjà et surtout d’une grave pénurie de bon sens ?