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Chroniques d'un vieux bougon
23 septembre 2022

Promesses d'été.

helene

Le courtil bourdonne d’activité au grand dépit des merles et des tourterelles qui s’arrogent en général l’exclusivité d’en perturber le calme et la sérénité. De la pelouse fraîchement tondue s’exhale encore une odeur d’herbe coupée et le soleil observe cette effervescence d’un œil perplexe du haut de l’azur à peine ponctué ici ou là de modestes cumulonimbus aux joues d’angelot saint-sulpicien.

Indifférents aux recommandations des parents, les enfants courent en tous sens, s’interpellent, tapent en joyeux amateurs dans un ballon qui vole de parterres de rosiers en potées de géraniums tandis que les plus petits construisent des châteaux-forts avec la terre des inévitables taupinières. Autour des tables dressées sous un chapiteau de toile, les adultes ont tombé la veste et achèvent les bouteilles de vins fins au milieu des conversations de plus en plus animées. Nul doute que la traditionnelle sieste d’après-midi des octogénaires risque d’être sévèrement perturbée.

L’affaire remonte à la naissance de la petite-fille de la pharmacienne du village, il y a deux ans. Tout à coup et sans qu’aucun indice avant-coureur ne l’ait laissé présager, ses parents décident de parapher devant monsieur le maire le parchemin du fameux contrat à perpétuité relative. Hélas, les péripéties covidesques reporteront la cérémonie à des jours meilleurs qui semblent aujourd’hui arrivés. Le hasard fait qu’à l’heure de la pièce montée et du champagne, je partage la compagnie de cinq femmes apparemment fatiguées des sempiternelles fanfaronnades de leurs hommes et j’ai l’impression de remonter 2800 ans en arrière alors qu’Homère égrène les 12000 vers de son incontournable Odyssée d’Ulysse.

Voici presque l’Hélène dont les frasques amoureuses avaient alors déclenché l’interminable guerre de Troie. Toujours plus belle avec les années, celle qui me fait face ne peut s’empêcher de jouer encore et toujours de ses charmes vénéneux, même si, jure-t-elle, elle ne saurait folâtrer en une autre couche que celle de son "vieux" mari. Mais comme l’illustre héroïne, elle ne peut s’empêcher de briller, son nom ne vient-il pas du grec "Ἑλένη" qui désigne également la sublime Séléné qui irradie nos nuits d’été. À sa droite, Marie nettoie une fois de plus le fourneau de sa pipe, y bourre une nouvelle pincée de tabac gris et tire une longue et âcre bouffée de fumée. Comme la Calypso du poète antique, elle peine à retenir les hommes auprès d’elle mais contrairement à son modèle, ce sont ses propres tempêtes qui empêchent les marins de l’accoster et la retiennent, de fait, prisonnière. À gauche, Caroline ne cesse de remonter sur son épaule nue la fine bretelle de sa robe, ses longs cheveux noirs tirés en arrière appliquent à ses traits réguliers un soupçon de sévérité aussitôt démenti par son abord avenant. Mais elle parle peu, se contentant d’incliner la tête pour mieux entendre le discours des autres ; ainsi ne sait-on jamais ce qu’elle pense, offrant, à l’image de la magicienne Circé, de multiples facettes bien difficiles à décrypter. En bout de table et presque à l’écart, Cécile, la mère de la mariée, ne se lasse pas de distribuer ses sourires mais comme Pénélope, elle ne parvient pas à cacher la profonde mélancolie qui trouble son regard. Son mari, Romain, est décédé six mois plus tôt des suites d’une longue maladie et au détour d’un mot, d’un silence ou simplement d’une évocation maladroite, on peut voir dans ses yeux le reflet gris de son amour à jamais disparu. À son opposé, la jeune Laura éclate d’une beauté simple et naturelle. Ses mèches blondes dansent à la moindre brise et caressent son visage encore baigné d’enfance. On l’imagine facilement, telle Nausicaa, descendant à la plage une panière de linge sur la hanche et sautillant de galet en galet en chantonnant quelque refrain à la mode, comme en attente elle aussi de l’homme de sa vie qu’elle accueillera avec la même assurance et la même ferveur.

Mais chacun se lève et lance ses vœux à l’adresse des nouveaux époux : joie, bonheur et félicité, pour le meilleur et pour le pire, autant en emporte le vent, advienne que pourra, demain est un autre jour … ! Ainsi, se déclinent les siècles et s’écrit l’histoire d’une comédie humaine toujours semblable et toujours renouvelée. Comme si les épopées de jadis si justement contées par les aèdes d’alors étaient déjà les nôtres ! (Odysséennes, Sylvain Fort, éditions des Busclats)

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Commentaires
L
Une noce à la campagne.
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