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Chroniques d'un vieux bougon
20 septembre 2022

Les petits hommes verts existent

hommes_verts

Les ombres s’allongent sur le courtil et s’insinuent lentement sous les érables et les châtaigniers. Si lentement même que vous n’y prenez pas garde. Et puis, tout à coup, vous levez les yeux de votre livre à cause d’un mot, d’une phrase ou d’une image, à moins que ce ne soit un bruissement d’aile dans un buisson, et votre regard se pose sur le mauve irisé des dernières fleurs du lilas des Indes puis sur le chatoiement des couleurs dans les branches des bouleaux et les reflets changeants de la lumière qui dessine des énigmes dans la futaie de fayards. L’air immobile s’est teinté de mille nuances d’orangé et de rouge sous l’embrasement des nuages au-dessus de votre tête. Le ciel, ce soir, offre un spectacle grandiose et majestueux et vous vous sentez, comme la veille, bien insignifiant.

Je suis sans doute l’un des rares êtres humains à pratiquer encore le sentier qui donne accès à l’étang qui ferme la vallée en contrebas de mon courtil au prix de circonvolutions alambiquées sur le flanc de la colline entre fougères jaunissantes, buissons de ronces et bouquets de genêts. C’est pourquoi, j’accompagnais hier une délégation de la sécurité civile et des eaux et forêts qui souhaitaient l’ausculter sous toutes les coutures.

Passée la barrière des aulnes qui, tels des remparts de château-fort, tentent de le protéger, les experts ignorent d’emblée la beauté des lieux comme la richesse de la faune et de la flore qui nous entourent et dégainent sans attendre leurs télémètres et leurs tablettes électroniques. Après une petite heure à photographier, sonder, mesurer et jauger en professionnels aguerris, ils respectent une petite pause pour faire un point. L’un constate que le ruisseau a plutôt bien résisté à la sécheresse estivale, un autre énumère les actions à mener et un troisième, calculette à la main, en établit un coût approximatif avant s’interroger, est-ce que ça vaut l’coup ?

Bien sûr que non, "ça n’vaut pas l’coup" ! "Ça ne vaut pas l’coup" de se lancer dans des travaux gigantesques pour un aussi modeste plan d’eau isolé au milieu de nulle part ! Il vaut bien mieux le laisser tranquille. Ignoré de tous ou presque, il ne nuit à personne et ne participe en rien à l’activité économique qui s’agite autour de lui. Pourquoi vouloir l’y insérer à tout prix ? Pourquoi bouleverser l’habitat des cohortes d’oiseaux qui y nichent et s’y nourrissent ? Pourquoi bousculer l’équilibre des iris, des églantiers ou des ajoncs installés là depuis toujours ? Et pourquoi les désigner à la vindicte des visiteurs du dimanche qui n’auront de cesse dès lors de les piétiner, de les cueillir, d’abandonner leurs détritus sur les berges et de polluer la source qui l’alimente à travers les bois et les prairies naturelles des alentours ?

Mes remarques ne rencontrent hélas qu’une indifférence polie sinon même légèrement méprisante lorsqu’une silhouette perce le rideau de branches qui nous encercle. L’homme, taille moyenne, rares cheveux grisonnants, veste et pantalon kaki de baroudeur et bottes de caoutchouc avance à grands pas vers nous. Ah, voilà l’écolo de service ! Je reconnais notre ardent pourfendeur local des éoliennes, relais téléphoniques et autres pylônes de haute-tension. Vous voulez faire quoi, ici, gronde-t-il ? Les autres éludent la question et se dirigent ostensiblement vers le chemin du retour. Je ferai mon rapport, ajoute-t-il en bon gardien de la nature comme il aime à se présenter, j’avertirai la presse, j’alerterai les médias, la radio, la télé, les réseaux sociaux !

Mais il ne pèse guère face cet acharnement universel à tout classer, organiser, rentabiliser ! Ses alarmes, tout comme les miennes, se perdront probablement un jour prochain dans le vacarme des tronçonneuses, des camions et des bulldozers. Ce soir, je n’aperçois aucune soucoupe volante dans le flamboiement du couchant mais je peux témoigner malgré tout que les petits hommes verts existent bel et bien. Ils ne paradent pas sur les plateaux de télévision, ne sollicitent aucun suffrage électoral, ne débattent pas dans les salons bobos de centre-ville, ils sont, comme on dit, sur le terrain.

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Commentaires
L
Heureusement qu'il y a encore ce genre de personnes.
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