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Chroniques d'un vieux bougon
16 septembre 2022

Par un bel après-midi d'été.

apres_midi_ete

L’homme est incontournable. Une demi-taille de plus que moi, enfin disons un tiers, la tignasse ébouriffée, les yeux bleus qui rient tout le temps, le menton glabre de qui a su résister à la mode de la barbe de trois jours, des épaules de pilier de terrain toulousain et des mains de paysan qui caressent avec des délicatesses de philatéliste son clavier d’ordinateur, il joue à dessiner des avions pour une filiale de la galaxie Airbus. Pour l’heure, enfoncé comme nous dans sa chaise-longue à l’ombre de l’érable commun, il regarde avec un sourire complice les mimiques de théâtreuse de notre petite amie Anaïs qui nous enveloppe dans un babillage ininterrompu, comme si elle tenait à me conter par le menu les longues semaines qui nous séparent de sa dernière visite, il y a tout juste un an.

Juliette, sa mère, n’est pas moins incontournable que son Thomas qu’elle couve du regard comme une mère poule sa nichée, comme si elle craignait qu’il ne trouve pas sa place ici, au milieu de mon courtil accablé de chaleur. Ses cheveux blonds coupés courts lui sculptent des joues arrondies éclairées comme toujours de son éternel sourire. Incapables de rester en place, ses mains vont et viennent en tous sens, virevoltent et tourbillonnent telles des hirondelles dans un ciel d’orage avant de se poser, une fois de plus, sur son ventre arrondi. Papet ? Oui ma puce ! Ma petite sœur, elle pourra aussi venir chez toi en vacances ?

Et une brassée de souvenirs de remonter à la surface. Juliette frappant tout essoufflée à la porte de la cuisine avec Anaïs emmitouflée dans une couverture sur un bras et le sac de changes, couches et biberons à l’autre, Anaïs trottinant devant sa mère le doudou dans la bouche et se précipitant sur mon chat César allongé sur le canapé, Anaïs assise sur le sol au milieu des disques qu’elle vient de chaparder sur l’étagère et riant aux éclats, Anaïs baillant de sommeil, bercée par des Variations de Mozart, un Impromptu de Chopin ou simplement l’un de ces contes pour enfants sages que je lui inflige régulièrement de ma grosse voix un peu rugueuse, Anaïs le visage barbouillé de purée qui expérimente les lois de la pesanteur chères à Newton du haut de sa chaise de bébé, Anaïs courant sur l’herbe fraîchement tondue de la pelouse à la poursuite d’un papillon qui la nargue depuis la terrasse, Anaïs… Bien sûr, ma puce, qu’elle pourra venir en vacances … quand elle sera un peu plus grande ! Mortifiée par notre éclat de rire unanime, elle retourne à ses jeux. Des jeux de grande fille à présent, elle intègre le collège à la rentrée scolaire et toute sa vie sera bouleversée, elle le sera bien plus encore lorsque la petite demoiselle qui s’annonce lancera son premier cri.

Au-dessus de nos têtes, un avion traverse le ciel à quinze mille pieds d’altitude au moins, les tourterelles jusqu’ici calfeutrées dans les futaies se lancent dans une controverse animée qui résonne dans l’air immobile, les merles qui n’attendaient, semble-t-il, que ce signal, reprennent leurs chamailleries dans les buissons. Anaïs nous entraîne, Thomas et moi, dans une énième promenade à travers le parc dans l’espoir d’apercevoir d’ultimes fraises des bois qui auraient échappé à sa sagacité ou de découvrir enfin une mûre que l’ardeur du soleil n’aurait pas encore grillée. L’inévitable déception n’altèrera pas la puissance de ses vocalises, une rengaine de son âge jetée à tue-tête qui fait fuir un couple de huppes vers le bois de sapins en contre-bas.   

Le monde peut bien bourdonner d’activité de l’autre côté des collines, courir, fébrile, derrière ses insaisissables rêves, s’entredéchirer même pour quelques arpents de terre ou quelque gloire éphémère, rien ne sera jamais plus doux ni plus beau qu’un après-midi d’été ordinaire au fond d’une vallée perdue au cœur des Monts.

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Commentaires
L
Des moments merveilleux.
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F
Merci pour les nouvelles d'Anaïs et de votre si belle relation. Je débute dans le rôle de "papi" depuis 2 ans et savoure chaque instant qui m'est offert de l'interpréter, plutôt, de l'être. Difficile toutefois de ne pas être inquiet sur un avenir à moyen terme qui n'est pas, ou si peu le nôtre...
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