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Chroniques d'un vieux bougon
16 février 2021

Un ruisseau, un bois, un étang.

eglantier

Paul Tortelier et Jean Hubeau égrènent à la radio l’Élégie en do mineur pour violoncelle et piano de Gabriel Fauré lorsque Kévin, en vacances chez ses parents, mes voisins agriculteurs, toque à la porte de la cuisine. Je l’ai vu, bambin, la franchir cahin-caha ; ses larges épaules en frisent à présent le chambranle. Un ourlet de sourire éclaire sa barbe de trois jours mais masque mal ses joues creuses et ses traits tirés ; il se remet, lentement, de la méchante attaque covidesque qui l’a foudroyé au cœur de l’Avent. Il semble malgré tout animé, ce matin, d’une belle énergie : on fait un tour, Papet ?

Nous descendons à pas courts le sentier de randonnée qui longe mon courtil en nous excusant en silence auprès des merles et des moineaux pour le dérangement. Çà et là, percent sur les talus les couleurs acidulées des crocus, les narcisses dressent leurs hampes au vert tendre entre les herbes, ils arboreront bientôt de généreuses corolles au jaune-orangé et bercés par le zéphir les chatons des noisetiers frissonnent doucement, les bourgeons n’attendent qu’un vrai rayon de soleil pour s’ouvrir. Nous atteignons bientôt les frondaisons dénudées du petit bois en contre-bas mais il nous faut d’abord sauter le ruisseau qui en marque la frontière.

Surgi des entrailles d’un amas rocheux abandonné quelques perches plus haut par d’antiques divinités agrestes, il n’est encore à cet endroit qu’un mince filet d’eau, un ru de peu, un brimborion en devenir. L’été pourrait, certaines années, lui être fatal. Il persiste cependant, s’entête, persévère et se déploie enfin avec les pluies d’automne. Á la reverdie, blotti dans un tapis de fougères, il musardera sous les jeux de lumière dans les ramées qui feront de sa flânerie un havre féérique pour libellules et farfadets. Pour l’heure et bousculée par les pluies incessantes, sa course se fait sauvage et il dévale la colline comme un chien fou, caracole entre ses berges encombrées, saute en tourbillonnant les pierres couvertes de mousse et racle avec ardeur son rude lit de graviers. Nous le franchissons d’une enjambée avant de l’accompagner au milieu des bruyères.

Cette partie du bois a en effet subi, il y a quelques années, la ronde tronçonneuse d’une compagnie de bûcherons mais les broussailles ont réinvesti les lieux. Çà et là, en jaillissent quelque baliveaux de chênes ignorés par les janissaires, des repousses de châtaigniers encore fragiles et de jeunes fayards dont les cimes dépassent à peine les genêts. Nous nous frayons bientôt un passage entre les saules et les roseaux jusqu’au petit étang où il se déverse avec fougue. Et me revient en mémoire les deux vers de Xie Lingyun, un poète chinois du cinquième siècle, Près de l’étang poussent les herbes printanières / Des oiseaux nouveaux occupent les saules du jardin*. Le printemps n’est pas encore là hélas et les nuées d’oiseaux non plus mais ses rives bordées d’ajoncs percés de part en part de longues feuilles d'iris n’en soulignent pas moins sa surface transparente où se reflète lebleu du ciel. La brise y dessine de modestes reflux effleurés de temps à autre par un bruant en livrée qui se pose sur un églantier, picore fébrile dans un gousson et disparaît d’un coup d’aile dans l’ombre de la roselière ou sur la branche d’un aulne au tronc noir digne d’une toile de Pierre Soulage.

Tandis que nous respectons une halte sur le chemin du retour pour lui permettre de reprendre son souffle, Kévin me rappelle dans un murmure le poème d’André Duprat, Je suis proche d’un étang court sur vagues / Dont la fortune de terre tient dans le regard /D’au moins toute une vie*. Le premier dit ce qu’il voit, le second ce qu’il ressent mais l’un et l’autre expriment, chacun à sa manière, un sentiment de paix et d’éternité qui nous emporte bien loin des péripéties du quotidien. (* Cité par J.M.G. Le Clézio dans Le flot de la poésie continuera de s’écouler, éditions Philippe Rey et L’Étang unique, André Duprat, éditions Apeiron)

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Commentaires
L
Cette promenade avec Kevin, j'ai l'impression d'être avec vous tant les descriptions sont belles. Les mots semblent naître spontanément sous vos doigts. Comme si votre regard allait plus loin que le simple spectacle de votre marche. Vous nous plongez dans cette nature que vous aimez tant. D'une certaine manière, en extrapolant, on chemine en même temps que vous.
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M
merci de nous faire partager cette promenade avec chaque mot bien choisis,un beau moment agréable
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L
Une belle photo de gratte-cul ! On peut en faire de la confiture.
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L
Cher Vieux Bougon, la lecture régulière de vos éditos m'amène à cette réflexion que nous serions, tous autant que nous sommes dans votre lectorat, en train d'écrire le même livre, du fait même de la description onirique de votre environnement, l'attention que vous portez à tout le vivant et que vous nous faites partager. C'est, d'une certaine manière, enthousiasmant !
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A
Bien aimé cette petite balade sur la rive du "brimborion" de ruisseau (un mot que j'avais oublié et que je retrouve avec plaisir) et tous mes voeux à Kévin pour qu'il retrouve son souffle
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