Une tendresse de printemps.
Les pâquerettes tapissent la pelouse et les violettes les talus, les jonquilles exhibent leurs corolles, les prunus flamboient au verger, aubépines et forsythias enflamment les palisses. Un couple de pies construit un nid à la cime du châtaignier, les merles rejouent la bataille d’Austerlitz dans les buissons, rouges-gorges et chardonnerets s’agacent dans les noisetiers. Les papillons jaunes et les bourdons sortent de leur torpeur et dessinent des arabesques dans les maigres flaques de soleil. En un mot, une sourde envie de printemps s’empare de mon courtil.
Après les longs mois de grisaille, de pluie et d’inondations, après les bourrasques de solstice qui ont bousculé les futaies et les gelées matinales qui ont rougi les nez, une sourde envie de chaleur et de lumière s’empare également des bourgs et des sous-préfectures. Les manifestants manifestent entre cris, rires et chansons et il n'est plus rare d'apercevoir des jeunes femmes musarder en fredonnant une rengaine devant la vitrine de la boutique de prêt à porter, chantonner un refrain guilleret devant l’échoppe du marchand de chaussures et admirer le chatoiement de couleurs qui inonde le trottoir de la fleuriste, roses, tulipes, jacinthes et œillets de poètes venus du monde entier comme des invitations au voyage. Sur le pas de porte de la charcuterie et bras de chemise retroussés, l’apprenti fume sa cigarette. Bonjour ! Le rire de la serveuse du restaurant ouvrier déclenche une envolée de moineaux vers le tilleul de la place du marché. Une odeur de pain frais tout juste sorti du four s’échappe de la boulangerie, se répand dans la rue et fait se retourner les piétons les plus pressés. Se tenant par la main, un couple de chalands hésite devant l’étal de la pâtisserie en se reprochant sa gourmandise et y succombe. À la superette, ils ignorent les choux et les poireaux des soupes hivernales et rêvent d’asperges à l’italienne, de salades d’épinards et de navarin d’agneau pour le repas de dimanche avec les cousins de La Rochelle. À la caisse, ils patientent sans hâte derrière la vieille dame qui compte sa monnaie d’un doigt hésitant, esquissent un sourire complice à la jeune préposée vraiment très enceinte et rentrent à la maison en sifflotant l’allégro du concerto en mi majeur de Vivaldi. Une sourde envie de légèreté s’empare de l’air du temps.
C’est normal, le printemps est là. Il paraît encore loin mais on le respire déjà, on le touche presque, on le ressent. Et une envie de tendresse parcourt les corps. Une main s’attarde sur une hanche, des joues rosissent pour un sourire, un dos frissonne pour un baiser dans le cou. C’est normal. Même les dorades, les cigales et les puces savantes sont amoureuses. Les tourterelles s’interpellent dans les marronniers, les pigeons roucoulent dans les sapins, les matous en maraude miaulent à fendre l’âme. Parfois, quand un tel feu d’artifice embrase votre cœur, la fumée monte jusqu’à vos yeux et les fait briller. C’est attendrissant. Et si, plus tard, l’amour s’envole et que, comme d’un feu qui s’éteint, la fumée monte jusqu’à vos yeux et les fait pleurer, c’est poignant parce que les amours printanières sont parfois éphémères ! Mais parfois non. Elles peuvent aussi durer toute une vie. (Écouter Natch in Berlin de Max Raabe et le Palast Orchester)
(Suivre régulièrement les chroniques du vieux bougon en s’abonnant à newsletter)